Un monde nouveau
Arnaud Desjardins La voie du coeur
Je pense que vous serez tous d’accord avec moi : ce que nous appelons communément la naissance c’est sortir d’un milieu, l’utérus, et découvrir un autre milieu, passer du monde de l’obscurité, des sons assourdis, du liquide et, dans les dernières semaines, d’une certaine pression, au monde de la lumière, du bruit, du chaud, du froid, de l’espace. Et la naissance pour laquelle je témoigne est la sortie d’un monde et la pénétration dans un monde nouveau qui s’ouvre à nous. C’est un changement de notre être même, mais aussi et surtout, l’accès à une autre réalité.
Il est d’autant plus étonnant de s’exprimer ainsi que ce monde nouveau est, en fait, exactement le monde dans lequel nous avions vécu jusque-là : un monde où il y aura toujours des personnes qu’on peut considérer comme des amis et d’autres comme des ennemis, des gens qui disent du mal de nous ou même qui nous veulent du mal, un monde où il y a encore la santé, la maladie, les bonnes nouvelles, les mauvaises nouvelles, les contrôles fiscaux et les difficultés financières. Et pourtant c’est un monde radicalement différent de l’ancien. Il n’est plus essentiellement peuplé de gens brillants et de gens ternes, de gens sympathiques et de gens antipathiques. Chaque être humain est accepté aisément et a le droit d’être lui-même. Les événements et les situations ne sont plus appréciés en fonction de nous ou, parlons chacun pour soi, en fonction de « moi », ce mot terrible puisque c’est la traduction la plus simple du mot « ego », la source de toutes les souffrances.
C’est en cela avant tout qu’il s’agit d’un monde nouveau, puisque ce n’est plus un monde égocentrique : c’est un monde qui est là en lui-même et, après que nous avons tant lutté pour l’accepter, détail après détail, instant après instant, c’est un monde dont l’acceptation, fondamentalement, se fait d’elle-même dans la liberté et la paix. Oui, c’est un monde aussi nouveau par rapport au monde d’avant que le monde du dehors est nouveau pour le bébé qui vient d’émerger du sein maternel. Un monde radicalement nouveau parce qu’il n’est plus jamais menaçant, même si ce qu’on aurait considéré comme hostile demeure. Rien ne peut plus être vu ni ressenti de la même manière. Et, en fait, si on savait à l’avance en quoi va consister cette naissance, on n’aurait pas deux fois mais dix fois plus d’ardeur pour progresser.